Laurence Clair

Accueil > Bibliographie > La chemise

La chemise


La chemise  

par Aymé Bard

C’est un soir, au coucher, que je l’ai remarquée pour la première fois... Les battements de mon cœur venaient de prendre le rythme de la nuit. Mon esprit vaquait... Non, je ne rêvais pas,. Pas encore.
C’est alors qu’elle m’est apparue - Oh ! fugitivement certes - mais bien nette, se découpant sur fond noir. A peu près fidèle au tableau... En tout cas fidèle à l’image que j’en ai gardée. Puis le lendemain, surprise, la chemise est revenue. Et comme ça à l’improviste, elle a renouvelé ses visites. Elle devenait presque familière. Je l’ai bien compris quand elle s’est mise à me questionner. - Elle était bien à carreaux ? Je suis restée sans réponse... Je crois qu’en effet des lignes horizontales et verticales la parcouraient. Alors oui, elle devait être à carreaux ! Et la matière ? Pas très fine, pas très légère... Cependant pas un lainage, c’est certain ! Je commençais à m’étonner de l’intérêt que je lui portais, quand un jour ...

J’avais erré toute l’après-midi, sous les sapins et sous les pins du Plateau Ardéchois, à la recherche des champignons. Vous savez, ces petits bolet tête de nègre, fermes et rebondis ! Je venais de m’asseoir à l’orée du bois, sur une vieille souche, histoire de souffler un peu. Devant moi des prés, dont les premiers gels effaçaient déjà, par endroit, le vert lumineux. En arrière plan, la ferme de mon enfance... Comme un simple élément de décor, abandonné là, une fois les acteurs partis...

Soudain un long cri d’oiseau, éraillé... qui s’est répété, qui s’est répété. J’ai pensé tout haut : “Tiens, l’oiseau de la pluie !” Avec les même termes qu’auraient employés les paysans de chez nous... Alors j’ai vu l’herbe haute moutonner sous la brise légère. De partout montaient des grésillements d’insectes. Les bonds de sauterelles s’affolaient. Un homme avançait, plié en deux sur sa faux. Dans un balancement de métronome... J’entendais le crissement de la morsure de sa lame. l’herbe tombait en andains réguliers, dans un parfum de miel.

A la fin de son rang, il a lentement déplié son dos. J’ai vu son visage pâle et amaigri - comment avions-nous fait à l’époque pour ne pas le remarquer , C’est sûr, le méchant mal était là, qui oeuvrait déjà... “Bonjour Petite, tu as bien fait de venir !” A-t-il dit simplement en m’enveloppant de son doux regard gris. Puis il a tiré de la poche de sa chemise, le papier à cigarette Riz Lacroix... Soudain j’ai tout compris. C’était elle ! Pas de doute, il portait la chemise. La chemise du tableau... Je l’ai bien reconnue... Malgré les manches retroussées... Malgré les couleurs affadies dans le dos, là ou cogne le soleil, par les jours d’été. Malgré la poussière collée par la sueur autour du col... C’était elle ! Quelques mois avant que nous la rangions pour l’éternité... Merci, madame l’artiste, de l’en avoir retirée un moment.


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP